Ma Rivière aux Crevettes

11 octobre 2013

Ma Rivière aux Crevettes

"Douala" par Alexandre FERNANDEZ via Flickr, CC BY-NC-SA 2.0
Crédits photo: Alexandre FERNANDEZ via Flickr

Mondoblog… Quel bonheur de pouvoir entrer dans cette grande famille, qui réunit des gens venus des quatre coins du monde, unis par le plaisir exquis de partager leur vécu! En effet, nous avons tous une histoire personnelle à raconter sur Mondoblog. Elle s’écrit au jour le jour, au gré de nos découvertes, de nos voyages, de nos rencontres. Pour ce billet (le premier d’une très longue série, je l’espère! ), je vous propose donc de découvrir l’article par lequel tout a commencé. Celui qui me vaut l’honneur d’être parmi vous. J’y clame toute l’affection que je porte à ma ville d’origine, Douala, au moment de la quitter pour aller vivre à Yaoundé, la capitale.

 

Douala.

Je suis bien le fruit des entrailles de cette ville au tempérament volcanique. Une mosaïque de cultures et de sensibilités s’est agglutinée au fil des décennies dans ce creuset urbain. Sur ce rivage, dans la chaleur étouffante qui y règne en permanence, les gens vont et viennent. Se rencontrent et se parlent. Partagent leurs histoires, passions, mythes et aspirations avec une ardeur frénétique.
L’un des plus beaux symboles de cette identité commune est un club de foot : l’Union Sportive de Douala. Le seul nom de cette équipe est une métaphore de sa formidable aura fédératrice. En effet, les Nassara peuvent se targuer d’être l’un des rares clubs à recruter des supporters au-delà de tous les clivages qui traversent la société camerounaise. Après le faste des années 80, marquées notamment par deux titres continentaux, le club a connu une longue convalescence… avant de renouer avec le succès l’année dernière, en remportant un nouveau titre de champion. Cette victoire a été fêtée avec ferveur par les très nombreux fans du club, réunis momentanément dans leur diversité sociale, ethnique, idéologique. A l’image de la ville elle-même.

 

Diversité.

J’ai grandi dans cette métropole aux multiples visages. Pendant toute ma jeunesse, au gré de la fortune familiale, j’ai du émigrer sans cesse d’un coin à un autre de cette ville tentaculaire. J’ai pu arpenter à longueur de journée ses sissonghos , ses mapanes, ses ruelles malpropres, ses quartiers huppés, ses carrefours bondés aux heures de pointe. Tous les matins, une foule bigarrée déferle, à travers les principales artères, sur le centre-ville et les quartiers commerçants. Et reflue en masse vers la périphérie le soir, ce qui ne manque pas d’engendrer des bouchons monstrueux.

La Nouvelle Liberté par Joseph-Francis Sumégné, Douala, 1996 / Photo by Kamiel Verschuren/ Courtesy doual'art / via Wikimedia Commons, CC-BY-SA-3.0
Crédits photo: Kamiel Verschuren/ Courtesy doual’art / via Wikimedia Commons

Car Douala est une ville surpeuplée. Plus de deux millions d’âmes y cohabitent, unies par un instinct farouche de survie. Les populations, arrivées par vagues successives de l’arrière-pays, s’y regroupent souvent en fonction de leurs affinités linguistiques. Ce qui n’exclut pas une certaine mixité. A New-Bell, l’un des quartiers populaires de Douala, vous retrouverez côte à côte les principales communautés : Béti, Bassa, Bamiléké, Nordistes, Anglos et autres se croisent entre des habitations sommaires et resserrées. En vous promenant à pied, vous pouvez rencontrer là, à quelques dizaines de mètres d’intervalle, des temples protestants, des minarets, des chapelles catholiques. Mais aussi, voir l’opulence la plus insolente et la misère la plus criarde se tutoyer du regard. C’est aussi cela, la diversité…

 

Débrouillardise.

S’il y a une vertu commune aux habitants de Douala, sans doute mieux partagée que les revenus, c’est bien celle-là. Le système D. Mise à part la caste très fermée des cols blancs et des cadres, qui étalent parfois leur aisance avec ostentation, l’immense majorité de la population doit suer sang et eau pour gagner sa vie. Et çà se voit. Déambulant le long des rues, installés sur la chaussée ou entassés dans des hangars, les gens se livrent à une ribambelle d’activités économiques. Et en inventent sans cesse de nouvelles, qui défieraient votre imagination la plus féconde.

J’ai eu tout le loisir de contempler avec fascination, les diverses manifestations de cette créativité débordante. Flâner à travers Akwa, le quartier des affaires, en faisant du lèche-vitrines. Me faire aborder par les revendeurs de téléphones de Dubaï, qui vous proposent le dernier bijou high-tech à un prix si dérisoire qu’il vous paraît suspect. Marchander de la fripe de premier choix avec les sauvetteurs au beau milieu du Rond-point Dakar. Me faufiler entre les étals des bayam-sellam du Marché Central, chargés de légumes ou de poisson frais… Et c’est là, pour moi, le plus grand charme de cette ville qui aura forgé mon tempérament au cours des 25 dernières années. C’est cet endroit, que j’aime de toutes mes tripes, que je vais devoir quitter demain. Pour aller vivre à Yaoundé.

 

Déracinement – Découverte.

Demain, je vais rejoindre la cité qui toise sa rivale côtière du haut de son piédestal de capitale politique. « Quand Yaoundé respire, le Cameroun vit », clament pompeusement les natifs de cette ville à tous ceux, venus d’horizons divers, qui y débarquent pour la première fois. Ce ne sera que mon quatrième séjour à Ongola, mais ce sera de loin le plus prolongé, peut-être le plus périlleux ? Je ne sais pas d’où me vient cette méfiance instinctive. Peut-être de l’impression laissée par mon premier contact avec Yaoundé, il y a deux ans… Des rues spacieuses et propres, qu’on croirait tracées au cordeau. Des gens aux manières polies, qui circulent d’un pas pressé au cœur d’un centre-ville aux bâtisses impressionnantes. Des chauffeurs de taxi d’une humeur décidément très joviale, débarrassés qu’ils sont de la concurrence des bend-skin, qui font littéralement (pour combien de temps encore ?) la pluie et le beau temps à Douala.

Yaoundé par Ville Miettinen via Flickr, CC BY-NC 2.0
Crédits photo: Ville Miettinen via Flickr

Au premier abord donc, Yaoundé m’a paru tiède, distante. Peut-être cette sensation s’avèrera-t-elle fausse à force d’y passer du temps et de découvrir ses charmes, par exemple la raison pour laquelle on la surnomme « la Ville aux Sept Collines » ? Et puis… ai-je le choix, de toute façon ? Je suis condamné à m’enraciner dans cette terre nouvelle. Car je viens pour y travailler, et tenter de démarrer véritablement ma vie d’adulte. Déterminé à braver toute la solitude que l’on peut ressentir dans un lieu peu familier. Et armé de cette pugnacité caractéristique de tous les rejetons de Douala, cette ville rebelle où dès le berceau, on apprend à jouer des coudes pour se faire une place au soleil de la vie.

 

Notes explicatives:

Rivière aux crevettes : référence à la légende qui  veut que Fernando Poo, le premier européen à avoir atteint l’estuaire du fleuve Wouri (qui baigne la ville de Douala) au XVe siècle, l’ait baptisé en portugais « Rio dos Camarões », c’est-à-dire « rivière des crevettes »-ce qui donnera naissance plus tard au nom « Cameroun ».

Nassara : nom des joueurs de l’Union de Douala. A l’origine, le mot vient de la langue bassa et désigne les gens de race blanche. Il a fini par être utilisé en référence aux couleurs du club, où le blanc prédomine.

Sissonghos : espèce végétale locale, herbe qui envahit les nombreux terrains vagues des bidonvilles de Douala. Désigne donc par extension ces endroits souvent enclavés et mal famés.

mapanes : mot de camfranglais qu’on peut traduire ici par « raccourcis » ou « chemins de traverse ».

Sauvetteurs : vendeurs à la sauvette.

bayam-sellam : mot de pidgin qui signifie littéralement « ceux qui achètent et vendent ». Revendeurs de vivres frais, très souvent des femmes.

Ongola : autre nom de la ville de Yaoundé, datant de l’époque pré-coloniale.

bend-skin : surnom local des conducteurs de motos-taxis.

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