Il était une fois : 1990

14 novembre 2013

Il était une fois : 1990

L'enceinte mythique du Stade Omnisports de Yaoundé
Crédits photo: Mboafootball.com

 

Imaginez-vous un instant dans la peau d’un reporter, parcourant les rues de Douala micro à la main dans le cadre d’un vox-pop portant sur le thème: « Quel est l’évènement qui vous a le plus marqué en 1990 ? ». Techniquement, la majorité des camerounais serait incapable de répondre à pareille question… La faute à une pyramide des âges qui fait du Cameroun l’une des populations les plus jeunes au monde, à en croire les chiffres très officiels du dernier recensement. Certes, pour ceux d’entre nous qui sont assez vieux pour s’en souvenir, cette année a vu se produire des bouleversements politiques majeurs. Beaucoup se souviendront sans doute du début de la marche forcée du régime Biya vers le multipartisme, dans ce climat de contestation, d’agitation et de terreur qui caractérisera plus tard les « Villes mortes ». Une toute petite poignée de gens, un peu plus érudits, évoqueront peut-être au passage la chute du Mur de Berlin et sa portée symbolique. Mais dans leur immense majorité, les camerounais ne manqueront pas de plébisciter un évènement en particulier, un moment gravé à jamais dans leur mémoire collective.

 

Le théâtre de cette scène légendaire est un stade de football. Pour qui connaît la passion sans limites que les camerounais vouent à ce sport, cela n’a rien de surprenant. Pourtant, c’est bien la surprise qui transparaît dans les commentaires de la presse sportive mondiale en cet été 1990. Déjouant tous les pronostics et terrassant au passage l’Argentine de Diego Maradona, tenante du titre, une équipe africaine est parvenue à se hisser au 2e tour de la prestigieuse Coupe du Monde de football. Une sélection qui porte désormais, telle un étendard de guerre, les rêves de tout un peuple et-comme souvent en Afrique- les espoirs de récupération d’une classe politique en mal de popularité. Qu’à cela ne tienne : en cet après-midi du 23 Juin, c’est l’« union sacrée » autour des Lions Indomptables. Les uns, l’oreille collée à leur poste radio, suivent religieusement les commentaires du match, débités d’une voix haletante par l’un des duos les plus fameux de la scène médiatique camerounaise : les inséparables Fon Echekiye et Jean-Lambert Nang. D’autres, bien plus chanceux, ont les yeux rivés sur les images en couleur diffusées par la CRTV. Tous ont le cœur qui bat la chamade, et pour cause : dans ce match au couteau face à la Colombie, tellement serré qu’il a dû se prolonger au-delà des 90 minutes réglementaires, les Lions ont pour l’instant un but d’avance : un avantage qui paraît bien fragile face à un adversaire de cette valeur. Car, si les Sud-Américains peuvent compter sur l’inspiration de Carlos Valderrama, leur meneur de jeu, ils ont également un véritable cerbère dans leurs buts: René Higuita, un des gardiens les plus spectaculaires que la compétition ait connus. Certes, il a déjà dû s’incliner une fois dans ce match, mais cela n’a entamé ni sa confiance, ni son goût de la démesure. Ce qui l’amènera plus tard, à la réception d’une passe en retrait d’un défenseur colombien, à tenter un dribble audacieux face à un attaquant adverse qui fonçait droit sur lui. Celui-là même qui justement, l’avait déjà envoyé chercher le ballon dans ses buts quelques minutes auparavant. Ce vieux lion qui, après 25 ans passés à rouler sa bosse sur les terrains, semble retrouver lors de ce Mundiale une seconde jeunesse. Aux dépens des défenses adverses.

 

https://www.youtube.com/watch?v=PYZ8fhR5TuA

 

La suite, les camerounais la connaissent tous ou presque. Le geste opportuniste de l’attaquant pour subtiliser le ballon au gardien colombien. Le but libérateur inscrit l’instant d’après dans la cage vide. Les pas de danse endiablés exécutés au point de corner devant le public du stade San Paolo de Naples, définitivement conquis par la classe et l’élégance de ce joueur. Le match héroïque qui verra par la suite l’équipe du Cameroun quitter la compétition en quarts, avec les honneurs. L’accueil triomphal de la sélection au bercail, dans la fierté et la liesse populaires. Epilogue d’une aventure qui pour certains, mieux que ne l’aurait fait une quelconque guerre ou un hypothétique mythe fondateur républicain, aura contribué à forger l’idée d’une nation camerounaise unie au-delà de ses contradictions, dans une époque pourtant très tourmentée.Cependant, victimes de leur propre succès, les Lions Indomptables et le football camerounais en général allaient devenir, au cours des années suivantes, un véritable instrument de diversion entre les mains des politiques, au fur et à mesure que les problèmes économiques et sociaux s’aggravaient. Une situation qui perdure encore aujourd’hui.

 

 

En photo avec le légendaire Roger Milla
En photo avec le légendaire Roger Milla

 

Ce dimanche donc, l’antre surchauffée du Stade Ahmadou Ahidjo de Yaoundé verra s’écrire, quoi qu’il arrive, une page marquante de l’histoire du football camerounais. En effet, un éventuel triomphe face à l’équipe tunisienne ferait écho au passé glorieux des Lions Indomptables, lorsqu’ils justifiaient encore si bien ce surnom sur les terrains du monde entier… Un âge d’or qui paraît aujourd’hui bien loin aux yeux de nombreux camerounais, désillusionnés au fil des échecs successifs de « leur » sélection dans les joutes internationales. Alors forcément, au bout de onze années de disette (autant dire une éternité ici), les matches des Lions ne suscitent plus autant de ferveur et d’enthousiasme que par le passé. A la veille de ce match, dont l’enjeu n’est ni plus ni moins qu’une qualification pour la prochaine Coupe du monde au Brésil, les supporters ne se montrent pas particulièrement expressifs, ici dans la capitale. Les maillots et les fanions aux couleurs Verts- Rouge- Jaune ne se vendent plus aussi bien, foi du commerçant du Marché Central ou du sauvetteur de Mokolo. Le souvenir du match décisif de 2005 face à l’Egypte, où ils avaient vu leur équipe se faire coiffer au poteau de la course au Mondial par les Eléphants de Côte d’Ivoire, hante encore les mémoires des aficionados. Et ils sont d’autant plus inquiets que, lors du 1er acte de cette confrontation, à Tunis, les coéquipiers de Samuel Eto’o sont passés près de la correctionnelle. De quoi tempérer la déception d’un éventuel échec ? Impossible de le prédire à l’avance. Comme la violence des spectateurs de Mfandena en 2005, fous de rage au point de cribler de pierres le bus des joueurs après le match maudit. Pour autant, n’allez surtout pas les croire résignés. Vous devez connaître, vous aussi, cet adage qui fait florès au Mboa, chaque fois que les Lions se retrouvent dos au mur : « Impossible… n’est pas camerounais ! »

See ya 🙂 !!

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